Un médecin spécialiste québécois passe au niveau politique - Plaider pour la liberté académique et un environnement éthique dans le secteur de la santé

Sherbrooke, le 3 septembre 2023 

Ministre Christian Dubé Ministère de la Santé et des Services Sociaux Édifice Catherine-De Longpré 1075, chemin Sainte-Foy Québec (Québec) G1S 2M1 

Objet : Loi 15, Loi sur l'assurance maladie, Loi 32, protection des lanceurs d’alerte et règles d’inclusion en Santé 

Monsieur le Ministre, 

À la lumière de récents articles publiés dans The Guardian et concernant la protection des lanceurs d’alerte (whistleblowers) dans le milieu de la Santé britannique, il serait approprié que votre projet de Loi 15 prenne en ligne de compte les enjeux essentiels de la protection des lanceurs d’alerte dans le système de la Santé ainsi que de la liberté académique dans les milieux de formation médicale universitaire. Ces articles mettent en évidence des problèmes similaires à ceux affligeant notre système de santé québécois: (nos traduction et soulignés): 

‘Les lanceurs d’alerte du National Health System (NHS) ont besoin d’une meilleure protection juridique pour empêcher les hôpitaux d’utiliser des procédures disciplinaires injustes pour expulser les médecins qui signalent des problèmes’, a déclaré l’Association médicale britannique. ‘Les médecins sont activement vilipendés parce qu’ils s’expriment, ce qui a pour conséquences menaces à la sécurité des patients et nombre de décès inutiles,’ selon le président du conseil du syndicat des médecins, Phil Banfield. ‘Malgré une série de scandales ces dernières années, il est de plus en plus fréquent pour les hôpitaux d’avoir recours à des tactiques juridiques et des enquêtes bidon pour discréditer ou expulser les lanceurs d’alerte plutôt que de répondre à leurs préoccupations,’ a-t-il prévenu. Banfield a déclaré : ‘Quelqu'un qui fait part de ses inquiétudes est automatiquement qualifié de fauteur de troubles. Nous avons un NHS qui fonctionne dans une culture d’intimidation et de reproche. Cela doit cesser parce que nous devrions accueillir les préoccupations des lanceurs d’alerte, nous devrions enquêter lorsque les choses ne vont pas. Les lanceurs d’alerte sont mis au pilori parce que certaines organisations du NHS estiment qu’une atteinte à leur réputation est plus dangereuse que des soins dangereux’, a-t-il ajouté. ‘Le NHS s’est enlisé dans le blâme de l’individu plutôt que la correction de l’erreur. Les lanceurs d’alerte pourraient bénéficier d’une plus grande protection grâce à des modifications de la Loi ainsi que par un changement culturel dans les hôpitaux, notamment en mettant fin au style de gestion hiérarchique command & control de nombreux hôpitaux qui empêche le personnel subalterne d'exprimer ses préoccupations’, a-t-il déclaré.

Ces appels ont été repris (…) par le Hospital Consultants and Specialists Association (HCSA) qui demande la création d’un organe statutaire national indépendant en dehors du service de santé pour protéger les lanceurs d’alerte et ceux qui signalent des problèmes de sécurité. ‘La culture intolérable de dissimulation de la part des gestionnaires que nous observons encore dans certains coins du NHS est mauvaise pour les patients et mauvaise pour les médecins’, a déclaré le président de la HCSA, le Dr Naru Narayanan. ‘Pour trop de médecins, la démarche courageuse, professionnellement obligatoire et moralement correcte, consistant à signaler les problèmes de sécurité est récompensée par des tentatives de réduire au silence et d'expulser la personne qui signale des problèmes par des gestionnaires plus enclins à protéger leur réputation’ Le syndicat, qui a déclaré avoir traité une série de cas affectant des membres – dont certains poussés au bord du suicide après avoir lancé des alertes de sécurité – a également demandé qu'une loi soit créée qui érigerait en infraction pénale le fait de causer un préjudice aux personnes ayant fait des divulgations protégées. » 

Au Québec, la prévention du harcèlement est encadrée à la section V2 de la Loi sur les normes du travail. Or, cette loi ne s’applique pas aux professionnels de la santé, tel que prévu à l’article 19 de la Loi sur l’assurance maladie:

« Les dispositions du Code du travail (chapitre C‐27) et de la Loi sur les normes du travail (chapitre N‐1.1) ne s’appliquent pas à un professionnel de la santé visé par une entente conclue en vertu du présent article qui rend des services assurés dans une installation maintenue par un établissement ou pour le compte d’un établissement. »

Seul le code de déontologie médicale québécois dans la section Relations avec les confrères et autres professionnels proscrit le harcèlement ainsi : 

110. Le médecin ne doit pas, à l’égard de quiconque est en relation avec lui dans l’exercice de sa profession, notamment un confrère ou un membre d’un autre ordre professionnel, le dénigrer, abuser de sa confiance, l’induire volontairement en erreur, surprendre sa bonne foi ou utiliser des procédés déloyaux ; 

111. Le médecin ne doit pas harceler, intimider ou menacer une personne avec laquelle il est en rapport dans l’exercice de sa profession. 

Néanmoins, son application ultime relève du Syndic du Collège qui trop souvent ne considère de telles entorses que comme conflits de personnalité au grand détriment du médecin ciblé par le harcèlement. 

Citons par ailleurs les recommandations contenues dans le rapport du Groupe de travail sur la liberté académique des professeurs travaillant dans des établissements de soins de santé affiliés à des universités de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université (ACPPU), rapport intitulé À la défense de la médecine : Les professeurs de clinique et la liberté académique (notre souligné) : 

Les recommandations contenues dans le présent rapport – que les universités et les établissements de soins de santé affiliés à des universités énoncent clairement les droits à la liberté académique, offrent une sécurité d’emploi et de revenu et donnent accès à des mécanismes de résolution des différends caractérisés par la justice naturelle et que les professeurs de clinique eux-mêmes mettent sur pied des organismes représentatifs puissants – donneront aux professeurs de clinique la même protection de la liberté académique qu’à d’autres membres du corps enseignant. 

Le Directeur général de l’ACPPU pourra vous confirmer que le milieu médical universitaire canadien n’a pas implémenté les recommandations de ce rapport publié en 2004 dans la foulée du scandale Olivieri. 

Finalement, un souci d’inclusion devrait prévaloir au sein de notre système de Santé. En effet, (nos traductions) ‘les employés autistes peuvent être moins sensibles à l’effet d’inhibition sociale que les employés non autistes. Par conséquent, les employés autistes peuvent contribuer à l'amélioration des performances organisationnelles, car ils sont plus susceptibles d’identifier et signaler les processus inefficaces et les pratiques dysfonctionnelles lorsqu’ils en sont témoins. Ces résultats suggèrent des bénéfices potentiels de la neurodiversité sur le lieu de travail.’ (Hartman et al., (2023). Organizational benefits of neurodiversity. Autism Research, 1–13) Ces remarques s’appliquent certainement aux médecins autistes qui oeuvrent dans le domaine de la Santé. Ainsi, il a été remarqué que : ‘Les difficultés rencontrées par les médecins autistes dans notre expérience concernent rarement les soins aux patients. Le contact avec le patient est généralement axé sur une tâche ou structuré autour d'un rôle bien défini. Les problèmes surviennent dans les interactions non structurées, imprévisibles et déroutantes avec les collègues ou la hiérarchie. Les conventions sociales et les nuances des neurotypiques peuvent sembler opaques, illogiques et déroutantes aux médecins autistes. Cela peut signifier que les interactions avec la hiérarchie deviennent pleines d'incompréhension.’ (Doherty et al. Supporting autistic doctors in primary care. The British Journal of General Practice. 2021 Jul;71(708):294) 

En vertu de ce qui précède, je vous communique que j’ai personnellement lancé des alertes auxquelles j’ai fait allusion dans une lettre adressée le 16 décembre 2011 au Dr Jean Rodrigue, Sous-ministre adjoint, Service de la Santé et des Services Sociaux, MSSS. Afin de préserver l’objectivité du processus, j’ai invité le Sous-ministre à s’enquérir lui-même auprès de mon DSP des dysfonctions de mon service. Depuis, la hiérarchie du CHUS et de la FMSS me causent grand préjudice en ayant recours à des tactiques juridiques et des enquêtes bidon et ce, bien que le CHUS m’ait versé à même les fonds publics deux dédommagements en 2015 et 2021, reconnaissance implicite de réparation de préjudices causés s’il en est. Ces dédommagements sont rattachés à une clause de non-divulgation qui font en sorte que le système ne peut s’autocorriger. De plus, le CHUS a signé avec moi un Plan de Prévention et Règlement des Différends (PRD) en 2021, une première dans le milieu académique médical au Canada. Le CHUS ne respecte pas ses engagements dans le PRD en maintenant dans mon dossier la présence de ses avocats et en refusant de procéder à une enquête sur le mobbing académique me ciblant, tel que recommandé par le médiateur agréé par les deux parties. Pis, le CHUS demande au médiateur de modifier les conclusions de son rapport, démontrant de ce fait le non-respect de la part du CHUS de l’intégrité morale et professionnelle du médiateur accepté par les deux parties.

Le mobbing peut se résumer en quatre étapes : 1) la future cible présente une menace aux intérêts de certaines personnes et devient sujet de médisance, attaques, mesquineries ou brimades ; survient 2) une contamination à l’échelle du groupe puis 3) à l’ensemble de l’organisation, notamment aux ressources humaines et à la haute direction, avec déni des droits de la cible ; puis vient 4) l’exclusion du marché du travail. Un mobbing réussi se termine par un renvoi, un transfert, une démission, un congé de maladie prolongé, une mise en invalidité, une décision autoritaire d’internement psychiatrique ou un suicide. La défense d’un droit légitime ou l’appartenance à une minorité ont été identifiés comme facteurs de risque de mobbing. La cible de mobbing n’a aucun recours au sein de son organisation et s’expose à une intensification du mobbing si elle se défend. 

La campagne de mobbing me ciblant a été initiée en 2003 dans le cadre de mon Fellowship de trois ans (2000-2003) en Thérapie Cellulaire à Montréal parce que j’ai voulu défendre le droit à l’objection scientifique et le droit de faire respecter le code de déontologie médicale dans le milieu médical universitaire québécois. En particulier, et au prix de ma réputation scientifique et professionnelle ainsi que de l’entièreté de ma carrière, j’ai refusé de souscrire à l’aberrante et scientifiquement insoutenable thèse que des cellules cancéreuses pouvaient être considérées comme transplantables (manuscrit refusé par les arbitres). Quarante ans de scolarité, l’obtention de quatre diplômes universitaires, une liste de publications originales dans les champs de la mathématique-physique, la médecine et la bio-informatique ainsi qu’une expérience de réviseur pour des journaux scientifiques avec comité de révision par les pairs devraient plus qu’amplement justifier mes demandes du respect du droit à l’objection scientifique dans le milieu médical universitaire québécois. Par ailleurs, on retrouve dans un récent rapport du Collège des médecins du Québec (CMQ) intitulé Le médecin et la recherche clinique les affirmations suivantes : 

‘Les attentes sociétales et le contexte actuel de la recherche clinique exigent de chaque médecin qui mène une recherche ou qui y collabore une réflexion quant à sa propre intégrité et à une prudence d’action assumée. Lorsque des comportements déviants sont constatés en recherche, se pose la très délicate question de la dénonciation, laquelle est très peu fréquente si l’on se fie aux chiffres précédents. En effet, si l’exemplarité en recherche est une vertu à laquelle tous les chercheurs adhèrent en théorie, elle est plus complexe à appliquer en pratique. Lorsqu'un chercheur constate une situation susceptible d’être dénoncée, il sera probablement habité par des sentiments contradictoires (volonté de ne pas nuire aux collègues, de ne pas faire de vagues, peur des représailles, de nuire à la réputation du centre de recherche et, conséquemment, peur que cela n’entache indirectement sa propre réputation, etc.). Le chercheur pourrait alors être tenté de rester coi, d’attendre, voire d’espérer que la dénonciation soit faite par quelqu’un d’autre. Le maintien de la confiance du public et de l’exemplarité en recherche requiert du courage.’ 

Plusieurs de ces affirmations pourraient apparaître au lecteur comme incohérentes et générer un questionnement en profondeur sur leur fondement éthique. Leur simple énonciation démontre néanmoins l’absolue nécessité d’une loi de protection des lanceurs d’alerte en Santé. 

Quant aux alertes professionnelles que j’ai lancées depuis 2003, elles demeurent pertinentes à ce jour. 

Il serait donc essentiel, Monsieur le Ministre, que votre projet de loi 15 inclut : 

  1. Une protection du droit d’objection scientifique dans le milieu médical universitaire ; 
  2. Une protection de la liberté académique dans le milieu médical universitaire ; 
  3. Des règles explicites d’inclusion et d’accommodements des médecins neurodivergents ayant à coeur la qualité des soins offerts à notre patientèle dans le système de la Santé ; 
  4. Une loi érigeant en infraction pénale le fait de causer un préjudice aux personnes qui ont fait des divulgations protégées. 

En espérant que vous saurez prendre en considération les enjeux professionnels, déontologiques et scientifiques décrits dans cette missive, je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de mes sentiments les plus distingués. 

Richard Le Blanc MD PhD 

Cc : Sous-ministre adjoint Stéphane Bergeron, DGAUMIP, MSSS 

Ministre Pascale Déry, Ministre de l’Enseignement supérieur 

Dr Brian Hodges, Président du CRMCC 

Dr Mauril Gaudreault, Président du CMQ 

Dre Marie-Josée Dupuis, syndique et directrice des enquêtes du CMQ 

Dr Jean-Hugues Brossard, Président de l’ACPM 

Recteurs des universités québécoises 

Doyens des facultés de médecine du Québec 

Gille Bélanger, député d’Orford, CAQ, adjoint parlementaire du ministre des Finances 

André Fortin, député de Pontiac, PLQ, porte-parole de l’opposition officielle en matière de santé 

Vincent Marissal, Député de Rosemont, QS, 

Porte-parole du deuxième groupe d’opposition en matière d’éthique et de santé 

Joël Arseneau, député des Îles-de-la-Madeleine, PQ, porte-parole du troisième groupe d’opposition en matière de santé, de services sociaux et de soins à domicile 

L'Honorable Pascale St-Onge, députée, circonscription de Brome-Missisquoi, Ministre du Patrimoine canadien 

Élisabeth Brière, députée, PCL, circonscription de Sherbrooke 

John D. Stefaniuk, Président, Conseil d'administration du l'Association du Barreau Canadien 

Mme la bâtonnière Catherine Claveau, Conseil d’administration du Barreau du Québec 

Me Catherine Ouimet, Directrice générale, Barreau du Québec 

Pamela Forward, President, Whistleblowing Canada Research Society 

Les médias québécois et canadiens 

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  • Pamela Forward
    published this page in Blog 2023-09-12 13:25:27 -0400

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